
Lorsque l’on ouvre le roman national, Bordeaux est la ville de Montaigne, de Montesquieu et de Mauriac, le port aux façades richement ornées du XVIIIe siècle, la riche cité où il fait bon vivre, baignée de la douceur et du charme de l’Atlantique. Aujourd’hui, l’image d’Épinal séduisante s’efface devant la violence sourde du réel. Depuis la fin du confinement, il ne se passe guère de jour sans une agression, sans un combat de rue sanglant, sans un rodéo sauvage, au cœur de la capitale girondine.
Au printemps déjà, tandis que les Bordelais étaient confinés, respectueux des règles sanitaires, les prémices de la violence étaient là. Le 26 avril, face au Grand Théâtre de Bordeaux, les vrombissements sourds des motos et d’un quad défiaient impunément les forces de sécurité dans un tohu-bohu infernal. Comme à l’accoutumée, les riverains n’ont eu aucune information sur cette scène ; tout juste évoquera-t-on après coup des "jeunes sortis de chez eux" alors que cela leur était défendus. Les protagonistes furent, une fois de plus, ces fameux jeunes gens, dont nous ne connaissons ni le nom ni le portrait-robot, et qui commettent de temps à autre quelques "incivilités" de rues. Dans la France du XXIe siècle, mutiler, agresser, frapper, détruire ou violer est devenu une banale "incivilité".
Déconfinement malheureux
Depuis le déconfinement, les événements ont pris un tour inquiétant qui laisse les Bordelais sans voix. En l’espace de quelques semaines, les agressions à l’arme blanche ont explosé et plusieurs bagarres ont éclaté en centre-ville. Il y a quelques jours, le 17 juillet, en banlieue bordelaise, un guet-apens homophobe était commis par deux mineurs (dont l’un est déjà connu pour "une grave série de vols avec violence en réunion") qui ont violemment frappé un homme piégé sur un site de rencontre gay. Ayant été incarcérés depuis les faits, les deux agresseurs seront probablement relâchés dans la nature. Quelques jours après, le 18 juillet, un homme a reçu deux coups de couteau dans le thorax tandis qu’il portait secours à une femme agressée. Dans le même temps, sur les quais de Bordeaux, des rixes entre bandes de "MNA" (mineurs non accompagnés) ou jeunes majeurs récidivistes éclatent régulièrement, faisant plusieurs blessés.
Le changement d’atmosphère est déconcertant
Jeudi dernier, en fin de journée, les forces de l’ordre ont été prises pour cible dans le quartier du Grand Parc. Une quinzaine de "jeunes" ont tendu un guet-apens aux policiers et ont tiré des explosifs dans l’intention manifeste de les blesser. Ainsi, depuis le printemps, plusieurs dizaines d’agressions et de blessés par arme blanche sont à déplorer dans la ville. Si les médias locaux se sont fait l’écho de la violence qui règne à Bordeaux, il suffit de déambuler sur les quais de la Garonne, depuis la gare Saint-Jean jusqu’à la place des Quinconces, pour mesurer la gravité et la profondeur de cette situation.
En dépit du paysage de carte postale légué par Alain Juppé, théoricien et candidat malheureux de "l’identité heureuse", les quais de Bordeaux sont à eux seuls la triste métaphore de la ségrégation urbaine. Le long du "quai des sports", vitrine des investissements financiers consentis par la municipalité, flotte désormais un parfum de cannabis tandis que les pelouses sont jonchées de canettes de bières. Un peu plus haut, prêt de la Porte de Bourgogne, les terrasses de café sont occupées exclusivement par des hommes. Le changement d’atmosphère est déconcertant lorsque, quelques rues plus loin, dans le triangle d’or bordelais, la promenade s’achève dans l’insouciance d’un verre en terrasse, encadré par plusieurs boutiques luxueuses.
Jusqu’à quand les familles s’inquiéteront du sort des enfants lorsqu’ils reviennent tard le soir ?
C’est désormais cela, vivre dans une ville française. L’ancien ministre de l’Intérieur Gérard Collomb le résumait lui-même dans une sombre prophétie : "On vit côte à côte, je crains que demain on ne puisse vivre face à face." Si Bordeaux est une ville d’opéra, elle est désormais le théâtre de la violence et de l’ensauvagement de la France.
Les habitants, en spectateurs incrédules, n’ont qu’à fermer leurs volés et raser les murs pour aller faire leurs courses. Jusqu’à quand serons-nous contraints de regarder ailleurs ? Car oui, la maison brûlait et Alain Juppé a regardé ailleurs. Jusqu’à quand tirerons-nous un voile pudique sur les scènes de guerre de Dijon, de Nantes, de Bordeaux et des autres douces villes françaises ? Jusqu’à quand les familles s’inquiéteront du sort des enfants lorsqu’ils reviennent tard le soir ? Si poser ces questions est prohibé par le code de bonne conduite "progressiste", y répondre est un devoir envers nos concitoyens et envers les Bordelais.
July 29, 2020 at 12:02AM
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Bordeaux : dans les rues de la ville de Montaigne, les coups de couteaux pleuvent - Marianne
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