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«Les communes moyennes sont les premières impactées par la désertification de leur centre-ville» - Le Figaro

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Nicolas Arzur est journaliste et a réalisé, avec onze autres étudiants au CUEJ de Strasbourg, une enquête sur le programme Action cœur de ville.

FIGAROVOX. - Pouvez-vous rappeler ce qu’est le programme Action cœur de ville et quel est son objectif?

Nicolas ARZUR. - Cela part tout d’abord d’un constat: de nombreuses communes moyennes sont en crise, touchées par une vacance commerciale et résidentielle élevées, particulièrement dans leur centre. Elles n’arrivent plus à rester attractive face aux grandes villes ou aux territoires qui peuvent compter sur le tourisme ou sur des entreprises porteuses. Avec Action cœur de ville, le gouvernement entend redonner en 2018 un second souffle à ces communes en difficulté, en travaillant sur la redynamisation de leur centre-ville. 222 communes ont été sélectionnées et une enveloppe de cinq milliards d’euros sur cinq ans est mobilisée. Chaque collectivité est chargée de porter les projets qui lui est nécessaire pour revitaliser son centre urbain. À ce jour, 4 000 actions auraient été lancés pour 1,2 milliard d’euros. Dans le cadre de notre enquête, nous nous sommes consacrés au volet «développement commercial» du programme.

Dans votre enquête, vous accusez les élus d’utiliser les fonds publics et les outils mis à leur disposition par le dispositif gouvernemental pour mener des projets dans leur centre-ville, tout en portant en parallèle des projets d’extension commerciale en périphérie des villes. Qu’en est-il exactement?

Nous nous sommes intéressés aux 80 communes d’Action cœur de ville qui avaient le taux de vacance commerciale le plus important. Notre enquête démontre que parmi ces 80 communes, 65 ont continué à autoriser les extensions commerciales en périphérie entre 2018 et 2019, alors qu’elles touchent en parallèle des fonds publics pour redynamiser le commerce dans leur centre. Cela représente 81 % des communes étudiées. Sur l’ensemble des villes du programme, ce sont près de 400 projets commerciaux périphériques qui ont été validés sur la même période.

Parmi 80 communes, 65 ont continué à autoriser les extensions commerciales en périphérie entre 2018 et 2019, alors qu’elles touchent des fonds publics pour redynamiser le commerce dans leur centre.

Autant de contradictions qui remettent en cause l’efficacité du dispositif sur ce volet. C’est même Jacqueline Gourault, la ministre en charge du programme, qui le dit: «On ne peut pas à la fois soutenir financièrement le petit commerce, l’artisanat et en même temps laisser se développer des grandes surfaces en périphérie.» Les premiers responsables de telles incohérences sont les élus locaux: la grande majorité soutient corps et âme les extensions. Comme à Cholet, où le maire a défendu l’agrandissement de 11 000 m2 d’une zone commerciale périphérique alors qu’il a déjà touché 30 000 € de subventions de l’État pour son cœur de ville.

Les CDAC (Commissions départementales d’aménagement commercial), sous l’autorité des préfectures, protègent-elles suffisamment les centres-villes dévitalisés?

Les CDAC n’exploitent pas les prérogatives qui leur sont confiées, alors qu’elles ont le pouvoir de refuser la délivrance d’une autorisation d’exploitation commerciale si la situation l’exige. Elles sont surtout devenues des instances «à dire oui». En 2018 et 2019, notre recensement montre que 84 % des projets commerciaux en périphérie d’un centre-ville bénéficiant d’Action cœur de ville ont été validés en CDAC. En cause, une forte représentation des élus locaux, y compris ceux qui sont directement touchés par les projets présentés, dans la composition de ces commissions. D’aucun ne souhaite donc prendre le risque de s’opposer à un projet porté par un maire voisin, pour éviter qu’il ne se voit refuser, le jour venu, un projet sur son propre territoire. Il y a aussi la peur qu’un promoteur aille démarcher le territoire d’à côté en cas de refus. Et la crainte de perdre les emplois promis à la clé. Jusqu’à encore récemment, aucune étude d’impact d’un projet sur le commerce local n’était à soumettre aux CDAC. Les discussions en commissions tournaient davantage sur les appréciations techniques du dossier que sur l’existence, ou non, d’un trop-plein commercial sur le territoire concerné.

Au cours de notre enquête, nous avons relevé 30 situations où les préfets avaient justement la possibilité d’agir, en déposant un recours, mais ne l’ont pas fait.

Pourquoi les préfets laissent-ils faire?

La réponse la plus probable est qu’ils ne souhaitent pas s’immiscer dans des dossiers aussi politiques, n’étant pas eux-mêmes élus. Ce qui est problématique, car le gouvernement a placé les autorités préfectorales au centre d’Action cœur de ville. Ce sont eux qui sont chargés de veiller et d’agir pour qu’aucun projet commercial ne puisse voir le jour s’il va à l’encontre des objectifs de revitalisation. Or, au cours de notre enquête, nous avons relevé 30 situations où les préfets avaient justement la possibilité d’agir, en déposant un recours, mais ne l’ont pas fait. Alors même que les projets en question laissaient peu de doute sur l’existence d’une réelle contradiction avec l’esprit d’Action cœur de ville: on parlait par exemple de création de zones commerciales de 6 000 et 32 000 m2 en périphérie. Les projets ont finalement été retoqués, non pas grâce à la vigilance de l’État, mais par la mobilisation des associations, des citoyens et des entreprises privées. Récemment, le gouvernement a offert de nouveaux outils aux préfets pour suspendre temporairement certains projets incohérents. Là encore, le dispositif est peu utilisé: seuls deux arrêtés ont été pris à ce jour. Pour certains de nos interlocuteurs, ces échecs imposent de passer à la méthode forte, en instaurant un moratoire contre les extensions commerciales dans les périphéries.

Les édiles reprennent la rhétorique des promotteurs immobiliers pour légitimer les extensions en périphérie.

En quoi l’exemple de Calais est-il parlant?

Bon nombre d’élus utilisent l’argument de la complémentarité de l’offre commerciale entre l’extérieur et le cœur de ville pour légitimer les extensions en périphérie. Une rhétorique qui appartient aux promoteurs immobiliers et qui est reprise tel quel par les édiles. La maire de Calais assure par exemple depuis quatre ans que l’arrivée d’un E. Leclerc sur les 17 hectares d’une zone à l’entrée de la ville viendrait compléter l’offre proposée dans le centre. Une vision rejetée par la commission nationale de l’aménagement en 2018, qui a vu là un projet «contradictoire» au regard des fonds publics alloués pour revitaliser le centre-ville. Elle estime même que cela pourrait venir «fragiliser l’animation de la vie urbaine». Malgré cette décision, la maire n’a pas renoncé à son projet et en a soumis une seconde mouture. Toujours au nom de la complémentarité. Nos interlocuteurs affirment pourtant que le risque de concurrence, sur l’offre proposée comme sur les prix pratiqués, avec certaines boutiques du centre-ville persiste. Ils ne comprennent d’ailleurs pas pourquoi l’élue s’entête à vouloir développer la périphérie alors que le cœur de ville de Calais reprend tout juste des couleurs. C’est une posture que l’on retrouve fréquemment dans les 80 villes que nous avons étudiées.




July 18, 2020 at 01:14AM
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